Le printemps est décidément bien là, avec ce léger parfum de fin d'année scolaire, les jours fériés et toutes ces occasions d'être déjà un peu en vacances. Tous les enseignants le savent, cette période de l'année est compliquée : une partie des élèves se laisse porter, les parents se désengagent, les ponts qui se multiplient favorisent les absences et les emplois du temps ressemblent à du gruyère.
En tant que psychopédagogue, je retrouve les mêmes problématiques. Avec la visio, les annulations sont plus rares mais parfois, toute la flexibilité du monde ne permet pas de pallier la lassitude, la fatigue ou le manque d'envie.

« Tout engagement génère des compromis, et il est évidemment plus facile de rester soi-même en ne faisant rien. », Ethan Hawkes
L'engagement, cette responsabilité partagée
Cette idée d'article m'est venue en janvier. Une élève de 3e avait commencé des séances dans l'objectif de préparer le brevet après plusieurs années de "difficultés". Après deux séances, il m'a fallu la confronter directement à ses faiblesses : elle confondait présent et imparfait et pensait que la guerre de 14-18 avait commencé en 45... Que pouvais-je lui dire d'autre que "On va avoir du travail mais c'est possible si tu tiens les objectifs qu'on va se fixer ensemble" ?

Cette élève a cessé de venir aussitôt après cette séance. Je me suis remise en question. J'ai pensé que c'était de ma faute jusqu'à ce que la notion "d'engagement" s'impose à moi sans plus me quitter.
"Engagez-vous", qu'ils disaient
Lorsque j'étais enseignante, il était parfois ardu de faire la distinction entre les élèves qui avaient des difficultés et ceux qui refusaient tout simplement de s'engager, de saisir la main tendue et de progresser.

Je me souviens d'une année pendant laquelle j'ai dû enseigner à des élèves qui avaient eu, pendant 3 ans, un autre enseignant de Mathématiques - le même - et qui étaient irrémédiablement fâchés avec cette discipline. J'ai tout essayé : les jeux, les évaluations à trous, l'absence d'évaluation en calculs, les cours de soutien en plus, les leçons distribuées pour limiter la tâche d'écriture et privilégier les exercices... Parmi les élèves, heureusement, certains se sont saisis de ce que je proposais, d'autres n'en avaient pas besoin. Parmi les premiers, beaucoup ont progressé, parfois juste assez pour ne plus se dire face à un exercice "Je suis nul(le), je comprends rien". D'autres m'ont remerciée, certains restaient à la fin des cours.
Mais cette année-là, une énorme majorité n'a pas voulu. N'a pas voulu écrire "Pythagore" dans la phrase "Le triangle est rectangle donc je peux appliquer le théorème de....". Une majorité d'élèves a terminé l'année en disant que j'étais la pire enseignante qu'ils aient jamais eue.
Et cette année-là, j'ai fini par renoncer à m'investir pour ceux qui ne le voulaient pas. J'ai démissionné l'année suivante et ce serait un mensonge que de dire que cette génération n'y était pour rien.
Seulement des volontaires ?
En proposant une activité en libéral, je pensais n'être confrontée qu'à des élèves motivés, des élèves qui auraient conscience de leurs difficultés et seraient prêts à s'engager. En réalité, je ne crois pas avoir eu cette pensée conscience à ce moment-là mais il me semble qu'elle était là, tapie dans l'ombre.
Le fait est que ce n'est pas le cas. Ils ne sont pas tous motivés. Parfois, leurs difficultés sont si profondément ancrées qu'ils ne voient plus comment les surmonter, comment passer outre. Inconsciemment, ils n'ont pas le courage de le faire, ils baissent les bras avant d'avoir commencé.
A l'adolescence, s'ajoute à ce découragement un manque d'envie. Ils viennent à contrecoeur, s'installent sans me regarder, répondent du bout des lèvres. Alors, maintenant, je le dis. Dès la première séance : "Il faut que en aies envie, tu sais, sinon ça ne marche pas". Ils disent "oui,oui" et ils reviennent en faisant la tête, en me faisant bien comprendre qu'ils n'ont pas envie d'être là, au point que même moi, je n'ai plus trop envie d'y être non plus.
Leurs parents aussi me disent "oui, oui". Ils me disent aussi "Bien sûr, je comprends" quand je leur explique qu'une, deux ou trois séances ne suffiront pas. Et pourtant, ce sont les mêmes qui, un matin, envoient un

SMS pour prévenir qu'ils ont trouvé un orthophoniste et qu'ils ne reviendront pas. Quand ils ont la politesse de prévenir.
Volontaires mais par défaut.
A leur place...

Je crois être quelqu'un de compréhensif. Les difficultés financières, la lassitude, les maladies, les erreurs d'emploi du temps... Il est rare que je ne propose pas une solution, que je ne m'adapte pas. Les séances peuvent être espacées ou reportées, les vacances sont souvent l'occasion de faire une pause et je n'oublie jamais de proposer aux parents un résumé de la séance et des pistes pour travailler à la maison.
Et pourtant. Pourtant, j'ai une bonne moitié des parents qui n'ouvrent pas les fichiers que je leur envoie, qui demandent à arrêter au bout de 4 séances sans avoir jamais appliqué le moindre conseil à la maison "parce que ça ne marche pas". J'ai aussi ceux qui annulent au dernier moment mais exigent que je les appelle la semaine qui suit, sûrement parce que mon temps leur est dû et que leur engagement est à géométrie variable. Quand ils veulent, comme ils veulent.
Il m'est très difficile de renoncer à m'engager à leur place, d'accepter de me résigner sans pour autant baisser les bras. Je continue d'envoyer les résumés, de proposer des jeux et des supports et de souligner des progrès chez leurs enfants. Je continue de me dire que c'est de ma faute s'ils ne s'engagent pas, s'ils me laissent le faire pour deux, pour trois ou quatre. Et parfois, même, je continue de penser, comme pour mes élèves il y a quelques années, que je suis incapable de les aider.
...ou à la mienne ?
Quand cette élève de 3ème - celle du début de l'article - a mis brutalement fin aux séances en ne venant pas à la dernière et lorsque sa mère m'a rétorqué : "Vous n'aviez pas noté qu'on faisait une pause ?" avant d'enchaîner sur une série de reproches agressifs, j'ai douté. Beaucoup. Il a fallu plusieurs jours, plusieurs semaines pour que je reprenne contenance (ou confiance ?). Et même encore aujourd'hui, certains reproches me restent chevillés au corps et me font flancher.
Alors, j'essaie de prendre du recul, de garder en tête tous les retours positifs que je reçois. J'essaie de me concentrer sur ceux qui sont là, semaine après semaine. Sur ceux qui galèrent, qui avancent puis qui régressent mais qui sont là. Ceux qui font la tête un jour et se précipitent pour me faire coucou le lendemain. Ceux qui me disent avec tout l'aplomb du monde : "Oui, bah je peux pas me rappeler de toutes les règles d'orthographe, hein, j'ai eu 3 contrôles cette semaine, je crois que tu ne te rends pas compte !".
Ceux avec qui je me sens enfin à ma place.
Et peut-être, finalement, que c'est la seule question que je devrais me poser, que je devrais leur poser. Quelle est ma place dans cette relation que nous allons construire ensemble ? Et quelle est la vôtre ?

Cette relation, comme toutes les autres, demande du temps, de la confiance et du respect. Alors, seulement, on peut avancer et l'enfant avec.
Et s'engager quand même !
Lorsque j'étais enseignante, à chaque nouvelle rentrée, je me disais "Allez, cette année, je fais attention, je ne me surinvestis pas émotionnellement, je prends du recul". Je l'ai dit tous les ans, même la dernière année. Et pourtant, j'ai tout donné à chaque fois. Même la dernière année.
Aujourd'hui, rien n'a changé. A chaque nouveau rendez-vous, j'essaie de me rappeler qu'il faut que je prenne du recul. Et à chaque nouveau rendez-vous, il y a une situation qui m'émeut, un sourire qui m'attendrit, un enfant ou un adulte à aider.

Alors, à chaque fois, j'y retourne, optimiste et enthousiaste. Je propose, je donne, j'encourage et je valorise. J'ajuste aussi. Je recadre et je pose des limites, j'explique, je trouve des solutions.
Et j'apprends à dire non, à repousser au lendemain. A ne plus répondre aux mails à 22h (parfois), à accepter que parfois, ça ne marche pas.
Pour que chacun puisse trouver sa place et s'engager, pour que les responsabilités soient partagées.
Merci pour votre lecture !
On se retrouve en commentaires pour échanger ou en juin pour une nouvelle chronique.
