Chroniques d'une psychopédagogue - Novembre 2025
A l’Education Nationale, le mois de novembre est consacrée à la lutte contre le harcèlement scolaire.
En cherchant un peu sur Internet, on découvre que le premier jeudi de novembre est une journée dédiée. Très souvent, des actions sont organisées entre questionnaires, campagnes de sensibilisation et formation d’élèves ambassadeurs. Je crois sincèrement que c’est une bonne chose. Les élèves ont besoin d’être formés, accompagnés sur le sujet pour que les situations de harcèlement soient prises en charge à la hauteur du mal qu’elles font à ceux qui en sont victimes.
« Le mal qui nous fait mal, n'est pas le mal qui nous arrive mais le mal qu'on fait aux autres. », Andrée Maillet
Harcèlement scolaire : une préoccupation pas si partagée que ça…
Pendant les dernières années qui ont précédé mon départ de l’Education Nationale, un dispositif commençait à être mis en place dans les établissements. Appelée parfois méthode Pikas, du nom de celui qui l’a initiée, elle porte aussi le nom de méthode de la préoccupation partagée. Et, avec du recul, il me paraît assez ironique que ce soit précisément cette méthode qui soit valorisée par les plus hautes instances de l’Education Nationale.
S'intéresser à l'autre
Partant du principe que la sanction fédère le groupe contre la victime, l’objectif de la méthode est plutôt d’amener les élèves harceleurs à se mettre à la place de l’élève harcelé. Sans chercher à les punir ou à les confronter, les adultes formés reçoivent les élèves harceleurs individuellement et travaillent avec eux à la prise de conscience de ce que vit l’élève victime et aux solutions qui peuvent être mises en place pour cesse le harcèlement. Parallèlement, l’élève harcelé est reçu en entretien, lui aussi, pour qu’il puisse exprimer son mal-être et son appréhension à l’égard de ses agresseurs.
A nouveau, en cherchant sur Internet pour écrire cet article, voici quelques mots clés et passages que j’ai trouvés à ce sujet :
Empathie, Responsabilisation, « Approche non blâmante », « Elle marche si bien qu’elle est en train d’être généralisée dans tous les établissements scolaires »…
Voilà… Surtout on ne blâme personne. Tout va bien, on a dit.
Faire l’autruche
Je ne dis pas que la méthode ne fonctionne pas avec les élèves. Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de voir de réels progrès dans les situations que j’ai croisées mais si tout le monde s’accorde à dire que les élèves vont mieux alors, soit.
Ce que je dis, en revanche, c’est que la préoccupation n’est pas si partagée que ça quand il s’agit du harcèlement entre adultes. Largement passé sous silence, parfois institutionnalisé, le harcèlement entre adultes a pourtant bien cours au sein de l’Education Nationale qui s’efforce, autant qu’elle le peut, d’en nier l’existence.
Alors oui, cette idée de préoccupation partagée interroge quand on réalise que, jusqu’à il y a peu, aucune structure n’existait pour soutenir les personnels victimes de harcèlement de la part de collègues, de chefs d’établissement, du corps d’inspection ou de l’administration.
Ironie quand tu nous tiens
Pour ma part, je deviens carrément amère quand il apparaît que, dans certains établissements, les enseignants qui coordonnent le plan anti-harcèlement sont également ceux qui harcèlent leurs collègues. Ils le font même parfois sous couvert de l’administration, voire avec sa bénédiction, en poussant certains enseignants à se sentir ostracisés, à redouter de venir travailler, et parfois à démissionner.
Tout va bien, on a dit.
J’ai comme un arrière-goût un peu âcre qui a du mal à s’estomper quand j’apprends que ces mêmes enseignants victimes sont convoqués, confrontés à leurs bourreaux, parfois inspectés.
Et j’ai toujours un peu envie de pleurer quand je repense à la solitude de ces enseignants, perdus dans un système qui ne veut pas d’eux, dans un système qui joue contre eux. On peut demander aux élèves de faire leur mea-culpa, on peut s’occuper de développer leur empathie, leur souci de l’autre mais tendre un miroir aux mêmes adultes qui encadrent ces élèves ? Surtout pas ! Cachez donc ce que je ne saurais voir.
Et parfois, le drame
Il est difficile d’écrire cet article sans penser à Caroline Grandjean, cette institutrice qui s’est suicidée en début d’année scolaire après avoir subi un harcèlement violent de la part des parents en raison de son orientation sexuelle.
Alors, bien sûr, ici, les parents sont à l’initiative de la situation mais du côté des enseignants, bien loin des médias qui n’en disent pas trop ou du ministère de l’Education Nationale qui reste silencieux, il se dit aussi que l’administration n’est pas en reste. Le corps d’inspection, les services du rectorat ont tous fermé les yeux. Ils ont participé en lui faisant porter la responsabilité de la situation, en lui proposant une mutation forcée, comme si c’était à elle d’être punie. Comme si elle avait mérité ce qui lui arrivait.
Caroline Grandjean aimait ses élèves, aimait son métier. Avec elle, l’Education Nationale a perdu une enseignante dévouée, une femme de valeur, quelqu’un qui, à son niveau, participait à rendre le monde un peu meilleur.
Se faire aider
Une association s’est créée récemment pour accompagner les personnels victimes : HELPEN.
Elle est jeune, elle manque encore de visibilité, mais elle fait un travail remarquable. À l’occasion de ce mois de lutte contre le harcèlement, il me semble important de la mettre en lumière, à ma petite échelle, de soutenir son engagement et de saluer sa volonté de faire reconnaître cette souffrance si peu considérée.
Pour être tout à fait honnête, je la soutiens mais je ne suis pas bénévole. Aujourd’hui, ma colère est encore trop vive. Je ne me sens pas capable de prendre en charge une autre souffrance que la mienne. Je peux simplement témoigner de ce que laisse le harcèlement : une trace profonde, une place envahissante, même des années après avoir quitté l’Éducation Nationale.
Je ne suis pas prête à animer des tables rondes ou à prendre la parole dans les médias, mais je peux, depuis ma place, dire aux enseignants qui vivent cela qu’ils ne sont pas seuls. Je peux leur dire que la souffrance au travail n’est pas un caprice, ni une fragilité individuelle. Je peux leur dire qu’ils ne sont pas les seuls à pleurer avant d’aller travailler, à craindre la salle des profs, à redouter les conseils de classe où ils se retrouvent isolés, à supporter les projets auxquels on ne les convie plus.
Et surtout, j’espère qu’un jour, ni eux, ni moi n’auront plus peur de parler.
Et parfois, l’espoir
Caroline n’est pas la seule enseignante dévouée à ses élèves et à son métier que l’Education Nationale a perdu en chemin. Toutes, heureusement, ne sont pas mortes. Parfois, même, pour certaines d’entre elles, comme moi, ce renoncement a été un nouveau départ.
Il y a encore des jours où la colère remonte quand je vois certaines inspectrices se mettre en avant sur les réseaux professionnels, alors qu’elles ont largement légitimé le harcèlement que j’ai subi. Je ressens encore ce pincement quand je vois certains chefs d’établissement fanfaronner le jour des actions anti-harcèlement, organiser des opérations de communication, alors même qu’ils n’ont jamais pris au sérieux les situations vécues au sein de leur structure.
Et même si parfois, je regrette mes élèves et la place que j’avais l’impression d’avoir trouvé près d’eux, je peux dire aujourd’hui qu’il y a un après.
Je peux dire aussi qu’il existe quelque chose d’autre et qu’il est possible de se reconstruire loin de tout cela.
Aujourd’hui, je vis une vie que je n’aurais jamais imaginé pouvoir vivre un jour, loin de la région parisienne, loin de ces personnes néfastes qui continuent de faire des dégâts. Je passe mes week-ends à la mer. Je me réveille le matin avec la certitude qu’elles n’ont plus aucune prise sur ma vie. Et si je dois leur reconnaître quelque chose, c’est peut-être cela : elles m’ont poussée, malgré elles, vers cette vie plus belle, plus libre, plus juste.
Pour eux, pour moi, pour tous ceux qui en auront besoin un jour, j’espère qu’HELPEN aura les moyens de continuer de se battre pour, qu’enfin, la préoccupation soit partagée par tous.
Vous aussi, vous pouvez les aider en partageant, en faisant un don ou en rejoignant l'association :
